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Yambo Ouologuem, un destin tragique

Il fut le premier romancier africain à recevoir le prix Renaudot. C’était en 1968. Il était jeune, il était brillant. Il s’appelait Yambo Ouologuem. A 28 ans, ce Malien originaire de Bandiagara en pays Dogon, territoire qui n’était pas encore le Mali mais le Soudan français, publiait Le Devoir de Violence, un roman qui ne chante pas les louanges de la beauté noire ni les bontés de la négritude. Bien au contraire. Yambo y dépeint, à travers la saga mythique de l’empire africain imaginaire de Nakem, la participation, la collaboration, de quelques monarques africains à l’esclavage et au colonialisme arabes et occidentaux.

Comme il le disait lui-même en 1968 dans un entretien accordé à l’émission Un livre, des voix de France Cultures : « J'ai pensé dans Le Devoir de violence, retracer, à travers une perspective de légende, de chronique, d'épopée, de roman, le triple colonialisme qui avait affecté ce continent. A savoir le colonialisme du notable africain(...) ensuite le colonialisme de la conquête arabe [qui] a donné les superstructures idéologiques qui convenaient, et, enfin, l'homme blanc en arrivant a été un autre colonialiste, avec la couleur en plus. »

A sa sortie, la réception du roman fut divergente. Tandis qu’en France, à l’instar de l’écrivain Roger Grenier, alors membre du comité de lecture des éditions Gallimard, l’ayant salué comme « le premier vrai roman africain », il connut un franc succès de critique, un succès couronné par sa consécration par le Renaudot, dans les pays d’Afrique francophone l’accueil fut plutôt mitigé.

Le Devoir de violence, est un livre dérangeant qui raconte deux histoires parallèles. Celle du destin épique de l’empire imaginaire du Nakem à l’aube du XIIIe siècle, dans lequel on reconnaitra aisément l’ancien empire du Mali, sur fond d’esclavage, de razzias, d’infanticides, d’inceste, et toutes sortes d’exactions ; et celle de Raymond Spartacus Kassoumi, fils d’esclaves qui a été envoyé à l’école des missionnaires par le Saïf, puis en France pour poursuivre ses études. Il sera rappelé au Nakem en 1947 pour représenter son pays en tant que député de l’Union française. Le lecteur reconnaitra facilement en lui le notable africain corrompu qui mène une vie de « nègre-blanc ».

Un récit aussi cru sur l’Afrique, publié quelques années après les « soleils des indépendances littéraires africaines », mettant en lumière l’extrême violence du colonialisme mais aussi les dessous arabes et africains de l’esclavage ayant meurtri le continent pendant des siècles, avant l’arrivée des Européens, on le comprend maintenant, ne pouvait pas être à l’abri de la polémique.

L’Afrique de 1968, alors embarquée dans l’euphorie des indépendances et la mythification du continent par les premiers écrivains dont l’une des figures de proue se trouvait être Léopold Senghor, ne réserva pas le meilleur des accueils au livre, un récit, une peinture aux antipodes de l’Afrique fantasmée par eux. Senghor, alors président du Sénégal, alla jusqu’à qualifier le roman de « livre affligeant ».

Et, pour couronner le tout, après les critiques et les polémiques, vint le scandale. Le succès fulgurant (le roman fut traduit dans dix pays), fit place aux accusations de plagiat. En mai 1972, le «Times Literary Supplement» accuse Yambo Ouologuem de plagiat. Sont notamment en cause, C'est un champ de bataille de Graham Greene et Le Dernier des Justes d'André Schwartz-Bart. Ouologuem s'est défendu, expliquant qu’il avait bien mis les extraits cités entre des guillemets qui n’avaient pas été repris par son éditeur.

Abandonné par ses pairs africains qui chantaient la douceur de la terre mère et les valeurs de la Négritude et lâché par sa maison d’édition qui retire le livre de la vente, Yambo rentre au Mali en 1978 et se retire dans sa région natale en pays Dogon où jusqu’à sa mort, il restera muré dans le silence et le rejet total du monde de la littérature et de l’Occident.

Le Devoir de violence tomba dans un ostracisme total. En 2003, soit trente-cinq ans plus tard, une première réédition de la maison Le Serpent à plumes essaya de le réhabiliter, sans succès ; en 2009 une autre suivit sous l’initiative d’Apic Editions, sans succès également. Ce n’est qu’en en mai 2018, cinquante ans après l’avoir retiré de la vente, et un an après le décès de Ouologuem le 14 octobre 2017, que Seuil osera, dans la mauvaise foi la plus absolue et toute honte bue, réhabiliter l'œuvre.

Il va sans dire que la révision que Yambo Ouologuem avait faite de l’histoire africaine était, en 1968, en totale opposition avec ce à quoi se livrait la jeune littérature africaine d’alors.

Sa liberté de création artistique et sa lucidité, à contre-courant de la pensée dominante qui idéalisait le passé africain que la Négritude considérait comme une Afrique idyllique, ont été reçues par les chantres de la Négritude comme une trahison. En remettant en cause les indépendances qu’il considérait comme factices, il a réussi à faire l’unanimité contre lui, se mettant à dos et les élites africaines et occidentales.

Courageux ? Imprudent ? Visionnaire ? Dans tous les cas, il en aura, malheureusement pour la Littérature, payé le prix fort.



Yambo Ouologuem, Prix Renaudot 1968, posant avec son livre 'Le devoir de violence',

à Paris, France, en novembre 1968. (Photo by KEYSTONE-FRANCE/Gamma-Rapho via Getty Images)


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