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Le dernier soupir d'un baobab incompris

Le style, le martèlement de ses phrases ressemblaient beaucoup plus à ceux de Le Tarik Es Sudan et de Le Tarik Es Fettach qu'à n'importe quelle autre œuvre du monde. Et Yambo Ouologuem n'a pas écrit ni dit pire que ces chroniques qui racontent l'histoire des pays du Sahel. C'est ce grand homme qui n'est plus. Du moins, physiquement. Car c'est peut-être maintenant qu'il va entamer un retour solennel parmi nous. Comme c'est le cas pour la plupart des grands esprits.

Je l'appelais mon « maître »

Avec beaucoup d'affection et de franchise. Il le reste et le restera pour plusieurs raisons, dont la principale est notre passion partagée de la vérité historique et notre rejet total de la violence comme moyen d'asseoir le pouvoir d'un homme sur les autres ou d'une communauté sur une autre.

Nos héros ne sont pas pareils à ceux de l'histoire, ils sont plutôt ses victimes dont personne ne parle. Et j'avoue que c'est la lecture de Le Devoir de violence qui m'a donné le courage, à mon tour, d'oser écrire ce dont beaucoup d'intellectuels africains ne voulaient pas entendre parler, et qui, pourtant, était chanté par les griots : les violences que ce continent a connues, que le Mali actuel a connues, et bien avant la colonisation occidentale. Des guerres fratricides d'une violence frisant la velléité de génocide (le mot est loin d'être excessif) que les pays du Sahel ont connues avant la colonisation occidentale. Lesquelles guerres, d'ailleurs, commencent à sortir de nouveau leur nez poussif : Boko Haram, Al-Mourabitoune, et j'en passe... Lesquelles recommencent à faire subir aux populations les mêmes atrocités qu'on retrouve dans les scènes décrites par Yambo Ouologuem dans son roman.


Le «  devoir de violence  », le miroir d'une réalité que l'Afrique refuse d'assumer

Car, c'est bien cela, mais aussi, on oublie souvent de le souligner, la violence de la colonisation occidentale, sa collaboration avec certains tyrans locaux que Le Devoir de violence relate dans un style d'une beauté rare. Et c'était comme pour nous dire : « Attention, nier les réalités de l'histoire, si atroces furent-elles, ne les empêche pas de se reproduire ! Tout au contraire... » La situation actuelle des pays du Sahel ne lui donne-t-elle pas raison ?

Yambo Ouologuem, celui que j'aimais donc appeler « mon maître », a donc tiré sa révérence, tout comme le fit son confrère et compatriote Moussa Konaté en 2013. Tous les deux, et à des degrés différents, peut-être, dans une solitude immense qui en dit long, je suppose, de leur mépris souverain d'un monde qu'ils ne reconnaissaient plus.

Ouologuem, ce «  maître  » que je n'ai jamais rencontré

Je ne l'ai jamais rencontré, Yambo Ouologuem, mon maître. Pas une seule fois. Il était pourtant à côté, à Sévaré, ville voisine de Mopti. Au Mali, bien entendu. C'est que je ne voulais pas le déranger dans son silence souverain, déranger le mystère dont il s'était volontairement enveloppé, lequel pourrait même expliquer sa longévité. Car, d'après plusieurs témoignages, à son retour de Paris, après le retrait du prix Renaudot, il était dans un tel état qu'on ne lui aurait donné que quelques mois pour vivre. Et à tout cela s'ajoute ce conseil d'une amie japonaise à qui je m'étais confié : « Il a fait ce qu'il avait à faire. Et il laisse le monde jaser. Il faut le laisser tranquille ! »


Il vivait donc à Sévaré. Non pas « entre la mosquée et sa chambre » – comme certains avaient eu à le raconter –, mais entre ses amis et sa maison, où il continuait d'écrire. Où, d'après les mêmes amis, il « consommait des rames de papier par semaine. »


Autant dire, en tout cas si ces dires se révélaient vrais, que l'immense écrivain qu'est Yambo Ouologuem, malgré la controverse soulevée par la publication de son ouvrage Le Devoir de violence, laquelle controverse l'avait conduit à ce long exil intérieur, n'a pas dit son dernier mot. Qu'il reviendrait, avec d'autres ouvrages, pour dire à ceux qui ne l'ont pas compris qu'il n'a jamais fait ni l'apologie de la colonisation, ni celle de l'esclavage. Des barbaries que, avec une rare virulence, il dénonce dans Le Devoir de violence.

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